Journal des procès n°255 (18 février 1994)

Un homme paraît sur les écrans de télévision pour dire que depuis qu’on a assassiné un de ses amis il n’a qu’une idée en tête : savoir qui l’a assassiné. Pas de réaction plus simple ni plus juste, mais elle étonne et même déconcerte. C’est que les choses ne seraient pas si simples et qu’à la limite, nul ne devrait plus pouvoir s’arroger une telle exigence. La vie politique, celle des affaires, qui souvent s’entrecroisent, ne laissent très généralement pas indemnes. Elles sont même organisées à cet effet car il importe que chacun tienne chacun par la barbichette. Toute réussite aurait- ses lourds secrets et à la base de toutes les grandes fortunes, il y aurait des choses à faire frémir. Churchill disait pourtant à cet égard que le tout n’était pas d’arriver, encore fallait-il voir en quel état ?
Un homme paraît sur les écrans de télévision, défait, et nous annonce qu’il mettra tout en oeuvre pour découvrir I’identité des assassins de son ami, quoi qu’il advienne. Réaction réputée enfantine mais précisément, ce n’est plus un enfant et il est très capable de trouver la vérité et de la dire, quitte à faire flanquer en prison nombre de gens du sérail. Est-ce tolérable ?
Un seul homme paraît sur les écrans de télévision et tout bascule, épouvantablement, dans la morale qui ne consiste ni à gagner les élections, ni à s’enrichir, ni à commanditer un assassinat, ni à protéger comme par réflexe ceux qu’on appelle “des amis” et qui sont seulement des alliés. Eh bien ! celui-là sauve peut-être enfin l’honneur d’être un homme et pas une marionnette.

Philippe Toussaint


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