Journal des procès n°269 (28 octobre 1994)

Dans une de ses œuvres posthumes, le Manuel de civilité pour les petites filles, Pierre Louÿs prodigue des recommandations d’une facétieuse irrévérence ayant au moins la vertu de dénoncer l’hypocrisie des moralistes. Il montre avec verdeur ce que des phrases toutes faites peuvent avoir de pervers. Il en va de même pour ces expressions qui, brusquement, sont de mode et s’imposent dès lors irrésistiblement à ceux qui écrivent ou parlent en se persuadant, les sots, que l’important est le message qu’ils prétendent délivrer, et non la manière dont il est présenté, en sorte que, pour faire court, bien écrire serait vieux jeu, et le charabia, moderne.

Il y a une dizaine d’années, on disait à tout bout de champ que l’arbre ne devait pas cacher la forêt. Aujourd’hui, c’est plutôt comme la cerise sur le gâteau.

Il convient de réagir fermement et, à la manière dont Pierre Louÿs recommandait à ses jeunes lectrices : “Ne dites pas (censuré, tâchez d’imaginer, comme on le proposait dans les vieux nouveaux romans !), dites : ma soeur est très sentimentale“, ne dites plus jamais “comme la cerise sur le gâteau“, mais “sur le chapeau.” Le message passera d’autant mieux, ou il s’effondrera et on ne méritait donc pas d’être délivré. Pareillement, cessez de dire qu’il faut garder l’église au milieu du village mais du “bocage” ou que le ministre va devoir “revoir sa copie”, mais “sa groupie.” On vous écoutera au lieu de vous entendre comme une publicité qui lave encore plus gris.

Philippe Toussaint


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