ON L’APPELAIT JACK RABBIT. Il était venu de Norvège sous le nom de Herman Smith Johannsen. Il a passé sa vie à skier, à aménager des pistes de ski et à donner le goût du ski de fond aux Québécois. Il était légendaire de son vivant. Il participait encore à des compétitions à l’âge de soixante-quinze ans. La longueur des trajets qu’il parcourait à plus de quatre-vingt-dix ans étonnait tout le monde. Il est mort en 1987, à l’âge de cent douze ans, après avoir donné son nom à des événements et des hôtels. Le sport durable c’est lui.
Voilà un domaine où il existe depuis Hippocrate, dont on connaît les préceptes sur l’équilibre entre l’alimentation et l’exercice physique, un consensus qui se renforce avec le temps : l’activité physique est une bonne chose, les modes de vie sédentaires une mauvaise chose. “Ils accroissent toutes les causes de mortalité, font doubler le risque de maladies cardio-vasculaires, de diabète et d’obésité et font considérablement augmenter les risques de cancer du côlon, d’hypertension artérielle, d’ostéoporose) de dépression et d’angoisse” (OMS)
Dans un pays comme le Canada où ce genre de message est régulièrement diffusé, l’accès à des lieux qui facilitent l’activité physique et la rendent agréable est facile et souvent gratuit. Il n’empêche que 49 % de la population est inactive. Entre l’âge de douze et quatorze ans, le pourcentage d’inactifs n’est que de 20 %.Il passe à 31 % de quinze à dix-neuf ans, à 41 % de vingt à 24 ans, à 50% entre vingt-cinq et et trente-quatre ans. L’inactivité se stabilise ensuite. A l’âge de soixante-quinze ans et plus, elle atteint 63 %.
Chez les jeunes en particulier, l’activité physique est en déclin au Canada. “Au cours des dernières années, l’incidence de l’obésité chez les adolescents a doublé ; l’incidence d’un surplus de poids a augmenté de 92 % chez les garçons et de 57 % chez les filles entre 1981 et 1993. Depuis une décennie, les enfants canadiens dépensent 400 % moins d’énergie que leurs compatriotes d’il y a quarante ans et 60 % d’entre eux ne se conforment pas aux normes d’une bonne condition physique pour leur groupe d’âge.” Cette lamentable situation est en grande partie le résultat d’un développement où l’on sacrifia les besoins des enfants aux intérêts de l’industrie automobile, à la poursuite d’un progrès auquel on sacrifiait la nature d’autre part. Sauf exception, les anciens collèges et couvents du Québec possédaient une immense cour de récréation, généralement bien aménagée et parfois belle au point d’en être inspirante : y marcher était un plaisir auquel on rêvait pendant les heures de classe ennuyeuses pour s’y adonner le moment venu, comme un enfant court vers la mer, sans avoir à mobiliser sa volonté. Autour des nouveaux collèges, il n’y a que des terrains de stationnement.
Au moment où le Cégep d’Ahuntsic a été fondé à Montréal, à la fin de la décennie 1960, il y avait un grand boisé dans le voisinage immédiat. On refusa de le céder au Cégep, qui l’aurait transformé en un parc destiné à ses milliers d’étudiants. On leur offrit plutôt un gymnase et une piscine olympique. Mais voilà : ces équipements offrent bien des avantages, notamment pour la préparation aux compétitions olympiques, mais ils ne préparent pas à l’activité physique durable. L’homme ressemble encore à l’oiseau migrateur. Il est soumis à la polarité. Il se déplace d’autant plus facilement qu’il est attiré par un but enchanteur : beauté du paysage, ivresse de l’air de la montagne, parfum des fleurs, saveur des champignons, attraits d’une ville comme le vieux Québec, où dans certaines rues, la vue est réjouie par le caractère à la fois unique et varié des maisons anciennes, et par l’attrait des boutiques qui jalonnent les rues étroites conduisant au fleuve. Aux Etats-Unis, royaume des gadgets de l’entraînement physique, parmi les exercices que les personnes actives pratiquent, la marche domine dans 43 % des cas, le travail au jardin ou dans la cour suit avec 28 %,le jogging ou la course représentent 10% des activités, le vélo mobile ou fixe, 12 %, la gymnastique 15%.
Nous vivrons mieux lorsque nous aurons plus de sollicitude pour la vie autour de nous et pour la polarité dont nous avons besoin pour nous unir à elle. Georges Hébert, à qui nous devons l’hébertisme, est l’un de ceux qui avaient mis ses contemporains en garde contre une approche trop rationnelle et trop volontariste de l’éducation physique.
Le docteur André Schlemmer lui a rendu cet hommage : “Il est antinaturel, ennuyeux et même fatigant de demander à un être d’accomplir un exercice qui n’a de sens qu’en soi ou qui ne correspond qu’à une conception rationnelle. Un effort qui n’est pas porté par la spontanéité expressive ou efficace n’est pas seulement lassant : il réussit mal à être éducatif, formateur et bienfaisant. Les exercices analytiques et scientifiques, qu’il s’agisse de gymnastique, d’entraînement aux sports ou de piano, sont antinaturels et, de ce fait, leur résultat est médiocre, malgré le temps et l’effort demandés. C’est là la découverte géniale de Georges Hébert et l’inspiration de toute son oeuvre.“
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