Mon vieil oncle Aladin, à la langue merveilleuse, pensait que les gens de goût, dont il avait la faiblesse de se croire, n’achetaient de vin blanc qu’allemand, rouge que de Bordeaux ou de Bourgogne, avec une exception pour le Malaga, leur whisky d’Ecosse, leur chocolat en Belgique et le parmesan en Italie. Qu’il serait malheureux aujourd’hui !
Offres publiques d’achat ou non, les produits sont investis par la plus formidable puissance financière du monde, qui est suisse. On semble dire que ça ne nous regarde pas, les consommateurs n’étant censés se soucier que de la qualité du produit et de son prix. Si demain telle marque de chocolat anglaise est rachetée par l’Helvète, on ne manquera pas de dire aux Anglais que le goût ne changera pas. Exactement comme, lorsqu’une firme familiale centenaire est rachetée, à la troisième ou quatrième génération par une multinationale, le premier message délivré aux employés et aux ouvriers est qu’il n’y a “rien de changé”. Tout est changé, mais nul ne peut le démontrer. Il y a seulement comme un accent nouveau et ce ton qui change la chanson…
Je note avec intérêt que les fabricants artisanaux de chocolat qui ne manquent point de faire imprimer sur leurs emballages ”chocolat belge”, en insistant sur le “belge”, auraient doublé sinon triplé leurs ventes depuis quelques mois, malgré qu’ils sont plus chers que les grandes marques.
C’est le triomphe posthume, et discret comme il sied, de mon vieil oncle Aladin, lequel n’était pas riche et ne partageait que les dimanches une bouteille de vin du Rhin avec ma tante, plus rarement deux ou trois bouteilles de Bordeaux et de Bourgogne avec des amis et mangeait tous les jours du chocolat, mais un petit morceau. A la nouvelle année, il s’allumait un cigare, de La Havane naturellement. Il n’était dispendieux que de baisers, car comme les roses, disait-il, plus on en cueille, plus il y en a.
Philippe Toussaint
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