Journal des procès n°222 (28 septembre 1992)

Peut-être avez-vous déjà été le témoin d’un dialogue entre une personne qui croit avoir une supériorité sur l’autre, qui dispose d’un pouvoir sur l’autre et profite de la peur ou seulement de ce que celui à qui elle s’adresse est moins à l’aise – un juge par exemple, et un prévenu – pour laisser celui-ci s’emberlificoter dans des explications formellement confuses. Ces moments sont pénibles (et plus rares qu’autrefois, il faut le dire, au tribunal) car ils recensent toute la mauvaise foi du monde. La conclusion est alors, généralement, que le premier lance au second avec un soupir et un regard comme tourné vers l’intérieur, vers la conscience, et en hochant douloureusement la tête :
– Je ne comprends pas !
Sous-entendu il voudrait bien comprendre, mais rien à faire, il n’y a pas moyen !
On peut rêver qu’à propos de tels échanges, qui n’ont pas lieu que dans des palais de justice, le second court-circuite :
– Je crois en effet que c’est bien là votre problème !
– Quoi ?
– Eh bien ! que vous ne comprenez pas…
– Expliquez-vous donc !
– Non, car s’il est une chose inutile, c’est d’expliquer quoique ce soit à quelqu’un qui ne comprend pas. On y perdrait sa salive et des trésors d’arguments !

Quel plaisir ce serait qu’un prévenu répondît, à l’occasion, de cette manière à un juge, qui feindrait de ne pas le comprendre tandis qu’en réalité nous sommes tous ainsi faits que nous nous entendons nécessairement – sans toujours approuver, bien entendu, ni même s’approuver…

Philippe Toussaint


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