Journal des procès n°215 (17 avril 1992)

Apparemment, les gens votent mal en Europe continentale et redeviendrait d’actualité la lettre, non point missive dirait Astyanax, que Berthold Brecht adressa au gouvernement de l’Allemagne de l’Est à I’occasion d’émeutes sévèrement réprimées. Brecht y félicitait les autorités de son pays d’avoir fait preuve de fermeté et proposait, avec une imparable logique, de renvoyer ce peuple indigne de son gouvernement et d’en choisir un autre, plus digne de ce gouvernement.

Quelques années auparavant, Armand Salacrou dont l’oeuvre repose sur l’idée qu’un monde sans Dieu est nécessairement déboussolé, faisait dire par Savonarole, dans La Terre est ronde que ce qu’il fallait à Florence, c’était la liberté et que, s’il le fallait, il la lui imposerait ! La boucle est bouclée : un monde sans Dieu est déboussolé et une théocratie toujours une tyrannie.

Entre ces extrêmes, des pays comme le nôtre naviguent. On nous y démontre la démocratie à la manière de Diogène marchant de long en large devant un philosophe lui expliquant l’impossibilité du mouvement. Ainsi va-t-on répétant que nous comptons parmi les rares pays de la planète où les libertés formelles sont généralement respectées. Faut-il monter en épingle certains scandales, bien réels, comment le nier ? Ou y a-t-il toujours un prix à payer – ce que croyaient les Grecs qui ménageaient au fond de leurs temples lumineux de petites salles basses où glapissaient les Érinyes ?

Philippe Toussaint


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