Journal des procès n°223 (2 octobre 1992)

L’une des grandes querelles dans cette partie du monde est de savoir si l’automne l’emporte en charme et beauté sur le printemps ou si c’est l’inverse. Voilà une dispute, ou une disputation comme on disait au Moyen-âge lorsqu’on soumettait à des avis tel point de religion, qui offre un réel intérêt ! Les uns argumenteront que si les couleurs de la nature, en automne, sont plus distinguées, elles sont en réalité plus proches de l’épate, tandis que la délicatesse des bourgeons et la frilosité des ciels, au printemps, ravissent les cœurs sensibles.

Or il est vrai que l’automne est sans doute chez nous la saison la plus violente. Violence de la lumière qui débusque les intentions du moindre brin d’herbe dont la fleur, en été, chatouillait le ventre de nos amies et pare d’un éclat tapageur ce qui aurait parfois intérêt à rester plus discret. Si le printemps est la promesse, l’automne est la fait*.

Mais l’argumentation est plus diversifiée de part et d’autre, et notamment gastronomique. Si le Beaujolais nouveau est à proprement parler de la bibine, on ne saurait passer sous silence les jets de houblon et surtout, surtout, les morilles, tellement supérieures, même si “de gustibus coloribusque non discutandum est” aux truffes. En regard de quoi on présentera un régiment serré de gibiers. Comment pourtant ne pas enregistrer que les meilleurs font défaut ? On vous sert sans vergogne des perdreaux d’élevage, ou même des faisans, et vous chercherez en vain chez le meilleurs volaillers des grives, ce roi des gibiers. Or, il est vrai que vivantes, elles chantent, et quel chant ! Rien que d’y penser, ça vous coupe l’appétit. Ainsi, l’écologie, qui est tout à la fois la grande innovation de notre époque et sa plaie quand elle devient nostalgie du bon vieux temps passé, cette horreur, intervient-elle dans le débat. Les meilleures choses du printemps nous laissent l’âme en paix, au contraire de ressources de l’automne.

II y a d’autres registres encore de la disputation. Revenons-à la lumière. L’une, celle de printemps est par excellence celle des peintres impressionnistes, l’autre celle des surréalistes. A l’essence de choses s’oppose leur aspect changeant. Hé ! cela vaut d’y réfléchir !

Philippe Toussaint


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