Journal des procès n°253 (21 janvier 1994)

Lu quelque part, mais où ? (sans doute dans un roman anglais du XIXème)  qu’il est probablement peu de personnes qui, étant amenées professionnellement à faire preuve avec constance de la plus grande urbanité, ne se surprennent, seules devant un miroir, à faire des mines sévères et à rêver, quasi à leur insu, de coercition voire d’injures.
On dira qu’on n’est pas plus maître de ces choses que de nos rêves – mais finalement, les rêveries ne sont-elles pas les plus redoutables ? Elles ressortissent au spectacle qu’en I’espèce on se donne à soi-même, à des représentations à huis clos, comme font ceux qu’on voit parfois parlant tout seuls au volant de leur voiture (songeons toutefois qu’ils se récitent peut-être un poème ?).
C’est à ces spectacles secrets que se réfèrent instinctivement les criminels de tous ordres qui massacrent en Yougoslavie et ailleurs. Un écrivain italien, injustement oublié, Pitigrilli, esquissait un immense programme à cet égard en disant d’un de ses personnages de Dolico blonde, qu’il se conduisait toujours, par exemple dans sa salle de bain, comme s’il n’était pas seul mais en public. Cette discipline est un peu terrifiante et peut-être offre-t-elle quelque surface à la critique en ce que sans un brin de laisser-aller on fait l’ange et donc la bête.
La question est néanmoins de savoir, disait l’auteur anglais, si les guerres nationales ou civiles seraient possibles sans ces instants où les plus urbains vocifèrent ou font des mines devant leur glace ?

Philippe Toussaint


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