Journal des procès n°192 (5 avril 1991)

Comme chaque année à la même époque, nous sommes tous complètement crevés ! C’est évidemment le changement d’heure. On a, parait-il, publié des études fouillées sur les avantages et désavantages économiques : ce serait kif-kif. Donc on ne change pas, défaire étant encore travailler.

Côté non-marchand de la chose néanmoins, les plaintes sont unanimes. Deux fois par an, nous sommes tous crevés et faut-il insister sur le sort malheureux des fermiers qui ne parviennent pas à mettre dans la tête de leurs vaches et de leurs poules que le gouvernement a décidé qu’il serait une heure plus tôt ou plus tard ?

Ce phénomène social de l’heure d’été et de I’heure d’hiver n’eut peut-être qu’un équivalent en Europe et c’est que la terre, tout-à-coup, était ronde, qu’elle tournait sur elle-même et autour du soleil tandis qu’on la croyait fixe ! Il nous serait certainement impossible d’imaginer à quel point, au début du XVIIe siècle, quand les démonstrations de Galilée se vulgarisèrent, grâce à son admirable “Dialogue sur les deux grands systèmes du monde“, les gens furent perturbés – si nous n’en avions un bon témoin, qui est l’art baroque et l’immense inquiétude qui le nourrissait.

Au moins Galilée, et avant lui Copernic, avaient-ils raison, scientifiquement. Quand on voit le soleil se coucher ou se lever, notre raison nous redresse, comme pour le bâton qui paraît brisé dans l’eau, et nous enseigne que c’est nous qui, en réalité, tournons.

Mais l’heure d’été, ou l’heure d’hiver ? Quelle science les dicte, en quoi seraient-elles vraies ou fausses ? Seulement pratiques ou encombrantes,  seulement une question de sous. Si on en finissait une bonne fois? Comme disait l’adjudant : “L’heure, c’est l’heure.” Grande sagesse dans cette frêle cervelle…

Philippe Toussaint


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