Journal des procès n°101 (20 février 1987)

Quand La Fontaine écrit que d’un magistrat ignorant, c’est la robe qu’on salue, faut-il entendre que quoique fasse ou dise un magistrat, nous lui devons révérence ou, plutôt, que la robe, symbole de la Justice, est en soi respectable, indépendamment de celui qui la porte? C’est une querelle ancienne qu’on cherche d’aventure aux journalistes, qu’ils soient informateurs ou chroniqueurs judiciaires, les uns parlant des affaires avant le procès, les autres pendant ou après. Des juges, des représentants du ministère public s’indignent qu’on critique, qu’on désapprouve un jugement ou un réquisitoire; ils ne laissent pas de souligner qu’ils sont quant à eux tenus par leur devoir de réserve et cela sous-entend qu’il y aurait quelque chose de lâche à s’en prendre à des personnes qui ne peuvent pas répondre, ni partant se justifier, ce qui serait au demeurant au-dessous de la dignité d’un magistrat. C’était I’un des thèmes du discours qu’a prononcé à Paris le nouveau président du tribunal.
La vérité est peut-être subtile. s’il est exact que jamais un magistrat n’enverra un droit de réponse, par exemple, à un journal, au sujet d’une critique qu’on y aurait fait de la manière dont il exerce ses fonctions de magistrat, la rumeur est tôt rapportée au journaliste que l’intéressé est fâché, ou même furieux et rien n’est plus simple alors pour le journaliste que de prendre conseil, de se livrer à une petite enquête, de vérifier s’il n’a pas écrit un peu vite, un peu légèrement, et s’il y a lieu de rectifier, spontanément. C’est ce que l’auteur de ces lignes a fait parfois. Le plus déplorable en tout cas serait que le devoir de réserve des magistrats commande une admiration de principe pour tout ce que font ou disent les magistrats, soit même une abstention rigoureuse sur le plan critique. Nous n’avons pas le sentiment au Journal des procès, où le franc-parler est cependant de mise, que les juges ne sont point conscients qu’il est souhaitable qu’on parle de leurs jugements, en bien ou en mal, avec toutes les nuances – du moment qu’on le fait honnêtement, au sens où l’on parlait au XVIIIe siècle de l’honnête homme. Comme Dieu, la Justice a grand besoin des hommes !

Philippe Toussaint


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