Journal des procès n°315 (29 novembre 1996)

Autrefois, les procureurs – c’est-à-dire ceux qui géraient des dossiers et représentaient des personnes en justice – avaient l’habitude d’épingler sur leur robe des documents relatifs aux affaires dont ils étaient chargés. Ils trouvaient sans doute ça pratique ; peut-être aussi voulaient-ils montrer qu’ils étaient très occupés, donc importants. Le superbe dessin colorié que nous reproduisons en couverture est évidemment une charge, une exagération cocasse de cette coutume. Dans un ordre plus modeste, nos avocats ornent souvent leurs épitoges de trombones, à défaut de pouvoir exhiber, comme leurs confrères français, des décorations. C’est mieux : ces petites agrafes indiqueraient en effet qu’on ne se prend guère au sérieux et qu’à tout le moins on est sensible à l’égalité, nul avocat n’étant censé être plus qu’un autre. Marie Denis, dont les billets sont toujours merveilleux dans la Revue Nouvelle, écrivait un jour, à propos des falbalas judiciaires, qu’elle ne voyait pas d’objection aux toges et aux simarres à la condition qu’il y en eût aussi à la disposition des justiciables, ce qui serait le signe d’une égalité réelle entre toutes les parties à un procès. C’était judicieux : rien n’est jamais plus gai que de piéger les vaniteux à leurs propres rets.

La querelle, feutrée, est ancienne pour ou contre les toilettes judiciaires et la Cour de cassation, à laquelle les événements donnent une publicité qui n’est sûrement pas pour lui plaire, a pu paraître un peu ridicule à cet êgard à des gens qui n’avaient jamais songé jusqu’ici à y pénétrer.

Sans doute conseillers et avocats généraux ont-ils le bon goût de se moquer Lln
brin d’eux-mêmes en s’appelant, quand ils revêtent le drap rouge et I’hermine, des “homards”, mais il ne faudrait pas pousser, ils y tiennent et l’argument le plus convaincant que nous ayons entendu à ce sujet dans la bouche d’un haut magistrat était : “Si vous me posez la question, je vous répondrai tout de suite qu’il faut supprimer ce faste d’antan. Mais je préférerais que vous ne me le demandiez pas…”
Oh ! le rusé !

Philippe Toussaint


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