Le calembour dont un des rois, Victor Hugo, disait que c’est la fiente de l’esprit qui vole, offre bien des avantages. Il ne coûte rien et supplée à la fatigante obligation de penser. On constate qu’il est devenu une névrose, une manie au sens psychiatrique du mot. Aucun titre n’en est exempt, c’est l’impératif de petit clin d’œil. Vingt dieux ! pour qui prend-t-on le lecteur d’oser lui faire un clin d’œil ?
Les meilleurs se soumettent : un très beau reportage sur les réactions en Oklahoma à un attentat meurtrier est intitulé Les raisons de la colère, fine allusion à l’opération israélienne au Liban, nommée Les raisins de la colère [NdlR. et au roman de Steinbeck]. Ça ne veut rien dire et tout dire, ça ne coûte rien et permet de suggérer un rapprochement éventuel. Le petit clin d’œil décharge ici d’avance du reproche d’esprit de sérieux (oh ! ces intellectuels !) en donnant à penser que ce reportage sera à la portée de tout le monde, même le dernier des imbéciles pouvant comprendre que “raisons” et “raisins” composent une joyeuse plaisanterie.
Ce syndrome qui nous envahit, comme les sempiternelles expressions toutes faites du genre “revoir sa copie”, ou “Sécu” pour Sécurité sociale qui ferait vieux jeu, peut être rapproché d’un nouvel us de politiques répondant au harcèlement médiatique en obligeant le journaliste qui les interroge à courir derrière eux et finalement à leur claquer la porte au nez. On voit ça tous les jours à la télévision, notamment avec M. Dehaene. Quelle grossièreté ! Mais qui faut-il tancer le plus ici et le journaliste ne se met-il pas en position d’humiliation de courir comme un petit chien, un peu comme on s’abaisse en sacrifiant au calembour ? Ce n’était pas y sacrifier, par contre, que de tirer sur deux pages dans le Morgen, à l’occasion de la mort de Sir Laurence Olivier : Not to be…
Philippe Toussaint
JOURNAL DES PROCÈS n°307
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