Journal des procès n°121 (22 janvier 1988)

Les restaurants qui sont ou devraient être, comme leur nom I’indique, des établissements où l’on répare ses forces, où on les restaure, ne sont-ils pas d’aventure des endroits où on les dégrade ? Il est bien connu que des mets trop riches mais exquis peuvent ruiner la santé mais ce n’est que si on en abuse.
Par contre, s’il faut en croire Test-Achats, un pourcentage énorme des frites que l’on sert en Belgique sont dangereuses pour la santé parce qu’on ne renouvelle pas assez souvent la graisse dans laquelle on les cuit !
Cette information est inquiétante dans la mesure où elle ne concerne pas la minorité qui fréquente des restaurants plus ou moins coûteux mais ceux qui se pressent dans des établissements pratiquant des prix modérés, beaucoup de clients mangeant chaque jour des frites pour tout repas de midi ou du soir. Il était déjà bien malheureux d’être pauvre, voilà que ça devient dangereux !
Le phénomène concerne pourtant bien d’autres choses que les frites. On calcule les prix de revient au plus juste, au centime près, soit afin de pouvoir pratiquer des prix très bas, afin d’attirer le chaland, soit pour augmenter les bénéfices, un million de fois dix centimes par poulet débité, qu’on économisera avec un peu de poudre de perlimpinpin faisant cent mille francs, qui sont toujours bons à prendre. Rien ne résiste apparemment à cette logique. On s’est indigné, il y a quelques années (on dit qu’on y a mis bon ordre ?) de ce que les bébés-phoques étaient dépiautés tout vifs sur la banquise où on les laissait mourir misérablement. C’était horrible en effet.
Il est pourtant certain que ceux qui agissaient ainsi ne le faisaient ni par plaisir ni même avec indifférence mais le salaire qu’on leur donnait ne leur permettait pas de prendre le temps de tuer d’abord la bête, leurs employeurs calculant qu’à raison de cinq minutes par bête, le salaire étant d’autant, on économisait autant en dépiautant tout vif…

On a parfois I’impression que nous sommes tous, peu ou prou, directement ou indirectement dans cette situation et que les scrupules ne sont plus de saison sauf à s’entendre qualifier de “belle âme” ou de rêveur. On devrait servir des frites tous les jours aux âmes laides !

Philippe Toussaint


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