Journal des procès n°001 (15 octobre 1982)

EN UN MOT COMME EN CENT…

Ce premier numéro du Journal des procès renoue avec une ancienne tradition dont on pouvait déplorer qu’elle fût tombée en désuétude. Au XIXe siècle, plusieurs journaux judiciaires étaient quotidiens, d’autres paraissaient deux
fois par semaine et leurs tirages n’étaient pas médiocres. C’est que rien ne semblait plus important que la manière dont la justice était rendue et que la publicité donnée, non seulement aux jugements, mais aux débats devant les
Cours et Tribunaux.
Assurément, tous ces journaux observaient les distances ! Le ton était révérentiel et la vision manichéenne : accusés et prévenus étaient quasi par définition des coquins ou, au moins, avaient-ils une sale tête. Il fallut longtemps pour se dégager de cette problématique simpliste et considérer qu’on juge moins des faits que des hommes, passant ainsi du noir et blanc aux infinies nuances du gris.
Devons-nous regretter ce respect monolithe dont on entourait le Judiciaire ? C’est probablement l’opinion de quelques magistrats pour qui le moindre coup d’épingle peut provoquer une échancrure par laquelle tout risque de ficher le camp ! Cette politique de prestige est une grave erreur, à notre avis. Qu’on le veuille ou non, notre époque n’est plus celle de la soumission mais de la participation et rien n’est plus souhaitable dans cette perspective que d’amener chacun à comprendre. L’adhésion à un système, chez nous la Démocratie, et à ses Institutions, se nourriront de cette lucidité. Mais tout a son prix et ce n’est que si la Démocratie respecte ses propres règles qu’elle sera défendue par chacun de nous ; ce n’est qu’en montrant ses verrues que la Justice aura néanmoins notre estime.
Nous n’avons pas l’intention, mais alors franchement pas ! de chanter ici, semaine après semaine, les louanges de la Justice – ni la nôtre ni celle d’autres pays. A égale distance toutefois d’une contestation maugréeuse et d’une sotte flagornerie, nous tenterons d’informer. Notre couverture, à cet égard, est symbolique ! Cette dame toute nue, à qui nous avons mis un bandeau, est bien plaisante! Est-elle coquine ? Pourquoi la Vérité serait-elle austère ? De son côté, le magistrat qui soutient avec elle un grand miroir où se réflète toute la société, n’est pas allégoriquement solennel. Le Journal des procès ne se voudra ni révérentiel ni gamin : dur équilibre !
Cette couverture, notez-le bien, sera toujours la même. Seule la couleur du cadre changera chaque semaine – vert cette fois, rouge dans huit jours – marquant ainsi la périodicité. Nous ne voulons pas être accrocheurs, annoncer ponctuellement des révélations, des scandales, bref, faire de la  démagogie. Nous ne couvrirons pas toujours toute l’actualité, d’abord parce que nous n’avons pas de correspondants dans toutes les villes du monde ; ensuite parce qu’il est bien surprenant en somme qu’on puisse sans cesse connaitre le dessous des cartes et vous dire ce qu’il en est réellement de ceci ou de cela ! Nous préférons quant à nous, plus modestement, peut-être plus sérieusement, revenir sur un sujet quand nous aurons réellement quelque chose à en dire ! Ainsi saurez-vous que le Journal des procès n’est pas un hebdomadaire où les lanternes ne sont parfois que des vessies…
Par le biais du Judiciaire, des procès, nous vous parlerons d’un grand nombre de choses. Cette approche peut paraître partielle, déconcertante. C’est pourtant notre conviction, et la formule de notre journal en découle, qu’on en apprend davantage en lisant des comptes rendus d’audiences que par d’autres articles. Qu’est-ce qui est plus révélateur, par exemple, que la manière dont viennent les procès d’avortement ? N’y éclate-t-il pas que notre société est bloquée à certains égards, en sorte qu’il s’agit de bien plus que d’appliquer, modérément ou non, une loi. C’est aussi et surtout de la carence du Pouvoir législatif qu’il s’agit et d’une crise, effrayante à y bien regarder, des relations entre l’Exécutif et le Judiciaire. D’une démission de la Démocratie ?
Que le Judiciaire soit, bon gré mal gré, le grand révélateur d’une société nous parait d’autant plus évident en Belgique, que nous avons l’inestimable chance de ne connaitre ni la censure, ni les huis-clos politiques, ni les juridictions d’exception. Tout se dit dans les salles d’audience, il suffit de savoir écouter, il suffit d’être là, au bon moment.
Beaucoup nous ont demandé si le Journal des procès ne s’adressait pas surtout à des spécialistes ? Certainement pas ! Sans pour autant faire fi de lecteurs juristes, c’est au grand public que nous nous adressons. Il ne faut pas être licencié en Droit pour lire une chronique judiciaire et en tirer un enseignement !
Vous trouverez aussi dans le Journal des procès nombre d’informations dans les domaines qui peuvent paraître rébarbatifs. Mais tout, pensons-nous, est dans la manière de les présenter. Enfin, il y aura ce qu’on trouve également dans les autres hebdomadaires : des articles qui ne seront nullement liés au Judiciaire. La liberté de ton en sera le signe : après la sanction sans quoi le Droit n’est rien, dit-on, la permission…
Voilà notre programme et, finalement, notre politique : dire les choses, les montrer le plus clairement possible et qu’ainsi vous sachiez quels motifs nous avons tous de rire ou de pleurer, de nous fâcher ou d’approuver. En un mot comme en cent : le grand miroir !

Philippe Toussaint


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