Journal des procès n°089 (5 septembre 1986)

Lamartine écrivit, pour chacun de ses poèmes, des commentaires dont celui-ci à propos de son poème intitulé tout unîment : Dieu.

Ce texte offre, nous semble-t-il, un exemple quasi parfait de ce qu’on a appelé parfois le scandale de la littérature, l’aura des mots suppléant en quelque sorte à la pensée et nous restituant moins des idées qu’un sentiment. C’est la saison de la publier : retour de vacances, il permet pour nombre d’entre nous, d’établir une comparaison avec l’autoroute du Midi et le tourisme organisé…

“J’avais connu M. de Lamennais par son Essai sur l’Indifférence. (…) Je m’attachais peu aux arguments, qui me paraissaient faibles ; mais l’argumentation me ravissait. (.. .) J’avais besoin d’épancher mon admiration. Je ne pouvais le faire qu’en m’élevant au sujet le plus haut de la pensée humaine, Dieu. J’écrivis ces vers en retournant seul à cheval de Paris à Chambéry, par de belles et longues journées du mois de mai. Je n’avais ni papier, ni crayon, ni plume. Tout se gravait dans ma mémoire à mesure que tout sortait de mon cœur et de mon imagination. La solitude et le silence des grandes routes à une certaine distance de Paris, l’aspect de la nature et du ciel, la splendeur de la saison, ce sentiment de voluptueux frisson que j’ai toujours éprouvé en quittant te tumulte d’une grande capitale pour |e replonger dans l’air muet, profond et limpide des grands horizons, tout semblable, pour mon âme, à ce frisson qui saisit et raffermit les nerfs quand on se plonge pour nager dans les vagues bleues et fraîches de la Méditerranée ; enfin, le pas cadencé de mon cheval, qui berçait ma pensée comme mon corps, tout cela m’aidait à rêver, à contempler, à penser, à chanter… En arrivant, le soir, au cabaret de village où je m’arrêtais ordinairement pour passer la nuit, et après avoir donné l’avoine, le seau d’eau du puits, et étendu la  paille de sa litière à mon cheval, que j’aimais mieux encore que mes vers, je demandais une plume et du papier à mon hôtesse, et j’écrivais ce que j’avais composé dans la journée. En arrivant à Ursy, dans les bois de la haute Bourgogne, au château de mon oncle, l’abbé de Lamartine, mes vers étaient terminés.”

Philippe Toussaint


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