FAIT-MAIN : La bonne voisine ou l’ange sauveur (1918)

Ci-dessous, la transcription intégrale du livret “fait-main” téléchargeable en PDF (Collection privée).

Dédié à Madame Joséphine Kaiser

La bonne voisine ou l’Ange sauveur

I

Ils étaient deux – dépassant la soixantaine
Ils connaissaient la misère depuis bien des semaines
Eux qui avaient vécu sans peur du lendemain
Ils étaient dans la gène, et ils avaient faim.
Le mari, abattu, prenant son courage,
Tint à sa femme ce douloureux langage.
– Fernande, écoute, je vais te montrer
Ce qu’il nous reste, car il faut ravitailler.

Prenons notre carnet. – Voici un double mark,
Et puis ensuite, un mark, deux marks et trois marks,
Voici encore un franc en un billet bleu
Tout cela, ensemble, nous aidera un peu.
Cela nous fait donc, pour la somme entière,
Sept francs vingt-cinq centimes. – Quelle misère !
Il reste encore un peu de monnaie,
Mais, hélas, pas assez, car il faut que je paie
Lard, saindoux, riz toréaline, – Que sais-je
Les articles qu’il y a, – Oh, Dieu, que n’ai-je

Seulement vingt francs. Je pourrais peut-être bien
Prendre le tout et ne laisser vraiment rien.
Avec le reste, au magasin communal,
Je pourrais avoir les choses principales.
Beurre, sirop, biscuits, – et ainsi nous pourrions
Ëtre un peu d’avance dans nos provisions.
– Mais non… non… je n’ai aucune espérance
De trouver moyen de calmer nos souffrances,
Car, quand la faim vous talonne, c’est bien souffrir,
Et cette souffrance ne nous fait pas mourir.
– Ah, que veux-tu, Arthur, il faut bien y passer.
Personne, au monde, ne viendra nous aider.

Sur mauvaises jambes, il faudra faire bon couer,
Résignons-nous, n’agravons pas notre malheur,
Être deux vieux débris, se consolant entre eux,
Espérant encore des moments plus heureux.

II

Ils se quittent. – Le pauvre mari tout défait
Va dans son atelier, dans le jardin et fait
Quelques menus ouvrages pour se distraire,
Mais, hélas, il n’y parvient pas – Au contraire,

Il voit, comme un spectre, l’avenir tout noir,
Et, devant cette vision, il perd tout espoir.

III

Qui vient là ? – C’est une jeune femme en noir
Qui traverse la cour, et qui rentre sans le voir
Dans la cuisine. – Il vient – C’est leur voisine,
Qui, sans doute, a besoin d’eux. – A sa mine

Souriante et joyeuse, il se doute
Que pour qu’elle se déplace ainsi, sans doute
Qu’elle a une nouvelle à faire savoir
– Ah, Madame, quel plaisir, pour nous, de vous voir
Et quel est le service que vous demandez
Car, vous savez que pour vous, nous ferons
L’impossible, même, s’il y a occasion.
– Le service que je vous demande, écoutez,
Le voici – Refuser, d’ailleurs, vous n’oseriez
Ce petit cadeau prendre sans regarder,

Prenez de bon coeur, si vous voulez m’obliger
Je vous dirais seulement, que, bien malheureux
Non de votre faute, vous secourir un peu,
M’est venu à l’idée – Prenez, je le veux,
– Emus jusqu’aux larmes, étonnés, les deux vieux,
Ne voient plus rien – Ils veulent refuser, mais
Elle leur dit – Prenez, prenez, et si jamais
Vous n’acceptez pas, je reprends mon amitié
Avec mon estime – Ainsi j’ai décidé.
Muets, perdus, les deux bons vieux se regardant
Tombent dans les bras l’un de l’autre, en pleurant

Doucement, profitant de leur trouble, elle sort,
Laissant les deux bons vieux, à leurs doux transports.

IV

Ange tutélaire que Dieu a envoyé
Pour soulager des bons vieux la noire misère
Pour rendre un peu de coeur à ces désolés
Reçois, de leur part, leurs souhaits bien sincères

De bonheur, longue vie, et de félicité
Que ton existence soit, non une vallée de larmes
Pour toi, mais une promenade remplie de charmes.
Qu’à ta demande, tes désirs soient exaucés
Et que l’avenir soit toute félicité.
Et vit longtemps, car chaque jour qui passe,
Tu fais le bien, et jamais tu ne te lasses.

Liège, le 10 août 1918
Signé : A. Laurent

Le petit livret dormait dans une brocante et le voilà pérennisé dans notre DOCUMENTA. La qualité littéraire de l’histoire est ce qu’elle est mais le travail que représente la réalisation de cet opuscule est impressionnant. Qui prendrait cette peine de nos jours ? Par curiosité, nous sommes allés à l’exact opposé de cette émouvante initiative et nous avons demandé à une Intelligence Artificielle de nous générer un dessin, avec la requête “La bonne voisine ou l’ange sauveur (1918).” Voici le résultat : choisis ton camp, camarade !

1918 ?