Journal des procès n°341 (29 janvier 1998)

La gravure que nous reproduisons en couverture nous montre deux manières qu’on avait de procéder autrefois à l’épreuve de l’eau. On dépouillait l’homme ou la femme suspectés d’un crime, on leur liait le pied droit à la main gauche et le pied gauche à la main droite ; on les jetait alors dans un tonneau rempli d’eau ou dans une rivière. S’ils allaient au fond, ils étaient reconnus innocents (et on les repêchait) mais s’ils ne s’enfonçaient pas, ils étaient réputés coupables.

“Cela fe faifoit” lit-on chez un vieil auteur “devant bien du monde ; & l’on ne peut raisonnablement douter des faits rapportez, comme ils le font, par un grand nombre d’Auteurs. Il n’y a pas lieu non plus de douter, fi l’effet était naturel, ou non. On convenoit, & il eft affez évident, qu’il y avoit du surnaturel dans l’expérience. Lors qu’un homme étoit éprouvé pour plufieurs crimes, dont il était soupçonné, on le voyoit tantôt s’enfoncer dans l’eau, & tantôt furnager, felon qu’il étoit innocent ou coupable de ces diverfes fautes ; c’eft pourquoi on réiteroit plufieurs fois l’épreuve (…) On voyoit des perfonnes qui fçachant qu’elles enfonçoient dans l’eau, fe préfentoient hardiment à l’épreuve, & fe trouvoient enfuite bien furprifes, de fe voir demeurer fur l’eau malgré qu’elles en euffent.”

On prenait donc Dieu à témoin : Il n’allait tout de même pas permettre qu’un innocent surnage ! Dans le même temps, on était parfois bien ennuyé. Une femme dont les preuves avaient été rapportées qu’elle avait empoisonné plusieurs personnes, condamnée à être jetée dans une rivière, une corde au cou et au bout de la corde une grosse pierre, surnagea tranquillement, en sorte que I’exécution se transforma en épreuve et qu’elle fut proclamée innocente, comme on peut le lire dans un manuscrit du douzième siècle de l’église de Laon, qui parle tout uniment d’une preuve qui se fit “Juridiquement & devant le monde.” Savoir si le juridique et la publicité font paroles d’Évangile ?

Philippe Toussaint


Cliquez ici pour retourner à la page-mère du Journal des procès…