TRUFFAUT G. & DEHOUSSE F. : L’état fédéral en Belgique (1938)

[CONNAITRELAWALLONIE.WALLONIE.BE] 1er juin 1938. Fernand Dehousse et Georges Truffaut publient L’État fédéral en Belgique. Depuis 1930, la Concentration wallonne tente de fédérer l’ensemble des groupements wallons autour d’un projet fédéraliste wallon commun. Sans succès. La Ligue d’Action wallonne décide de mener seule la rédaction d’un projet de statut fédéral. Rédigé par Fernand Dehousse et Georges Truffaut, L’État fédéral en Belgique s’accompagne d’un projet de Constitution fédérale. Le texte prévoit un système composé de trois régions, Flandre, Wallonie et Bruxelles, dont la frontière linguistique forme la limite entre les deux régions ; dans les communes situées sur la frontière, un référendum sera organisé si au moins 30% des électeurs communaux en font la demande. Tout en supprimant les provinces, le projet présente la particularité d’attribuer aux régions tous les pouvoirs que la Constitution n’attribue pas expressément au pouvoir central. Le 1er juin 1938, Georges Truffaut, François Van Belle et Joseph Martel déposent le texte sous forme de proposition de révision de la Constitution à la Chambre.

Institut Jules-Destrée

L’État fédéral en Belgique de Fernand Dehousse et Georges Truffaut

Publié en 1938, ce texte de révision de la Constitution n’émane pas d’un parti politique mais du Mouvement wallon, et plus exactement de la Ligue d’Action wallonne, très active à Liège depuis plusieurs années. En effet, les militants de cette Ligue pluraliste s’interrogeaient sur le devenir politique de la Wallonie au sein de l’Etat belge. Un Etat unitaire dans lequel, par le fait de la démographie et du suffrage universel, les Wallons deviennent de plus en plus une minorité politique, avec les incidences que cette situation engendre dans un système unitaire et centralisé.

Dès les années 1920, la Ligue d’Action wallonne s’est préoccupée d’une solution politique à apporter aux relations difficiles entre Wallons et Flamands aux intérêts divergents. Néanmoins, les positions des militants wallons quant à la forme à donner à cette solution ont mis du temps à s’harmoniser. Un premier pas a été franchi en 1931, lors d’un Congrès de Concentration wallonne : les principes d’une Constitution fédérale basés sur deux régions et un territoire fédéral sont acquis à la quasi-unanimité des quelque 200 participants, représentant 37 ligues et groupes wallons. Mais les années suivantes ne voient pas la concrétisation du projet alors que la situation économique wallonne va en se dégradant ; de plus, le vote par les Chambres de l’adaptation du nombre de sièges parlementaires aux chiffres de la population maintient sinon renforce la minorisation politique de la Wallonie.

Devant le constat de carence des Congrès successifs de Concentration wallonne, la Ligue d’Action wallonne reprend l’initiative. Au cours de l’année 1937, une commission interne s’attèle à la tâche. Le 15 mars 1938, l’achèvement d’un projet de statut fédéral est annoncé dans L’Action Wallonne, le journal de la Ligue. Avant d’être déposé à la Chambre, le projet fait l’objet d’une publication en brochure – le présent fac-similé – en tous points identique à la proposition de révision de la Constitution, déposée à la Chambre.

Proposition de révision de la Constitution : tel est l’intitulé officiel du texte déposé à la Chambre des Représentants en sa séance du 1er juin 1938. Les signataires de ce Document parlementaire sont trois députés socialistes wallons, Georges Truffaut, François Van Belle et Joseph Martel, soit respectivement deux élus de l’arrondissement de Liège et un élu de l’arrondissement de Soignies. En juillet, présenté au deuxième congrès des socialistes wallons, le texte est… encommissionné.

Précédant le Projet de Constitution fédérale proprement dit, un long exposé des motifs ne comptait pas moins de sept paragraphes parmi lesquels les éléments justifiant la démarche compte tenu des rapports Flamands-Wallons dans différents domaines ; les diverses solutions envisageables allant de la déconcentration du fédéralisme ; les choix possibles à l’intérieur même du terme générique de fédéralisme ; la formule d’association privilégiée par la Ligue d’Action Wallonne, soit la Région comme base de l’État fédéral ; les institutions politiques de celle-ci et leurs attributions ; les instances politiques fédérales et leurs compétences. Selon les rédacteurs, l’État fédéral préconisé denit reposer sur trois Régions : Wallonie, Flandre, Bruxelles. Pour la première fois, la Wallonie se voit dotée de la direction de ses affaires propres dans des matières importantes et protégée par des mesures de sauvegarde en d’autres domaines.

A un double titre, cette proposition d’État fédéral est une première du côté wallon : d’une part, elle fournit une étude fouillée sur la situation ainsi que la solution à y apporter; d’autre part, elle prolonge la démarche sur le terrain législatif. Toutefois, la prise en considération de cette proposition est rejetée par la Chambre, le 2 février 1939, par 111 voix contre 62 et 4 abstentions.

La publication des Écrits politiques wallons de Georges Truffaut, en attendant ceux de Fernand Dehousse, est l’occasion, pour l’Institut Jules-Destrée, de rééditer cette archive historique. À près de soixante-cinq ans de distance, ce projet de statut fédéral, mis à part quelques rides, a plus d’une parenté avec
la situation actuelle. Il témoigne encore aujourd’hui de l’engagement, contre vents et marées, de militants wallons pour l’affirmation et la reconnaissance politiques de la Wallonie.

Micheline Libon, historienne,  Institut Jules-Destrée

Au sein de la Ligue d’Action wallonne, Georges Truffaut (1901-1942) et Fernand Dehousse (1906-1976) ont été les principales chevilles ouvrières dans l’élaboration du projet fédéral.

Georges Truffaut (1901-1942), officier de la marine marchande et journaliste, était un militant wallon depuis les années passées à l’Athénée de Liège. Conseiller communal dès 1932 puis échevin de la Cité ardente en 1935, il siégeait à la Chambre depuis 1934. Passionnément engagé tant dans le développement de sa ville que pour la Wallonie, il n’eut de cesse de faire reconnaître une autonomie politique à celle-ci, tout en envisageant des liens plus étroits avec la France. Ses articles dans La Wallonie et dans les journaux du Mouvement wallon – La Barricade et L’Action wallonne – ainsi que ses interventions à la Chambre en témoignent à suffisance. À la fin de sa vie, il se disait fermement attaché à une Belgique fédérale, partie prenante d’une Fédération européenne au sein de laquelle l’originalité wallonne serait sauvegardée et l’épanouissement culturel, économique et social de la Wallonie assuré. Farouche opposant à la politique d’indépendance, il refusa la capitulation du 28 mai 1940 et rejoignit l’Angleterre où il trouva la mort lors d’un exercice militaire.

Liégeois lui aussi, Fernand Dehousse (1906-1976), docteur en droit et licencié en sciences sociales, enseigna le Droit des gens à l’Université de Liège et à l’École supérieure des Sciences commerciales et économiques. Militant wallon au sein de la Ligue d’Action wallonne surtout à partir de 1936, il tenait la chronique Propos de doctrine (1937-1940) dans le mensuel L’Action wallonne. Il y traitait, entre autres, de la réforme de structure de l’État et des problèmes internationaux. C’est lui surtout qui donna à la Ligue d’Action wallonne les références doctrinales et la formulation juridique nécessaires aux revendications de réforme de l’État. En 1942, Fernand Dehousse adhéra au groupe clandestin Rassemblement démocratique et socialiste wallon, fondé cette année-là. Ce groupe rassemblait des libéraux, des socialistes et des militants wallons sans appartenance politique. À l’époque, Fernand Dehousse se situait dans l’aile gauche du parti libéral. L’année suivante, il rejoignait la fédération liégeoise du PSB et s’attelait à un Projet d’instauration du fédéralisme en Belgique, publié en 1945. Dès lors, au sein des socialistes wallons, il s’imposa comme le porte-parole du fédéralisme.

Sénateur socialiste (1950-1971), deux fois ministre (juillet 1965-février 1966 ; février 1971-novembre 1972), Fernand Dehousse prit une part active aux diverses étapes de la révision de la Constitution. Il fut aussi un acteur agissant dans les différentes institutions européennes qui se mirent progressivement en place au lendemain de la Libération. Fédéraliste wallon, Fernand Dehousse était en même temps fédéraliste européen. Il n’y avait, selon lui, nulle incompatibilité entre un fédéralisme interne et un fédéralisme externe.

Pour en savoir plus…

CLERDENT : Cheminement belge du TGV européen (1990)

“Il aura fallu plus de cinq ans à nos Gouvernements pour arrêter officiellement, à la fin du mois de janvier [1990], l’itinéraire du TGV-Nord dans notre pays. La décision est sans surprise ; elle se dissimulait déjà entre les lignes de l’accord du 10 mai 1988 ; de nombreux signes l’annonçaient de plus loin encore. Pendant cinq ans, l’IRI [Innovation et Reconversion Industrielle, asbl] s’est employée sans relâche à faire triompher la solution digne de l’Europe et conforme aux intérêts nationaux. Le plan gouvernemental en est parfois loin quoique des points essentiels soient acquis. La situation qui en résulte, vaut d’être examinée d’autant plus qu’un dossier, même clôturé, n’est jamais achevé.

Ces pages ne sont pas un manifeste, encore que l’IRI qui a lutté au nom des forces économiques liégeoises pour que le TGV passe par Liège et s’arrête à la gare des Guillemins, puisse se réjouir d’avoir, sur ce point, obtenu gain de
cause.

Ce n’est pas, non plus, une contribution – qu’il eût fallu détailler considérablement – à l’histoire du dossier, bien que des faits singuliers, l’éclairant d’un jour très caractéristique, aient été relevés au hasard des circonstances.

Ce n’est pas, enfin, une radioscopie de l’exercice du pouvoir dans notre Etat
fédéral quoiqu’on ne puisse ignorer combien la décision finale du Gouvernement durcit les horizons régionaux et accuse son impuissance à les dépasser, à dégager les besoins d’une grande idée et à y répondre.

Non, ces quelques pages n’ont rien de polémique ni d’aussi ambitieux. Elles sont une réflexion sur un fait important de notre temps et un ultime appel au bon sens pour le mieux comprendre.”

Pierre Clerdent, Président de l’I.R.I.

Pour tout savoir :


[d’après CONNAITRELAWALLONIE.WALLONIE.BE] Pierre CLERDENT 5Liège 29/04/1909, Chaudfontaine 11/06/2006). Docteur en Droit de l’Université de Liège (1934), collaborateur de Paul Tschoffen et avocat près de la Cour d’Appel de Liège (1934-1945), il devient le secrétaire particulier du ministre Antoine Delfosse (1939). Délégué du ministre à l’INR et directeur du Comité permanent de la radio belge (1940), réfugié en France, il rentre au pays (été 1940) et fonde l’Armée de Libération dont il devient le chef national.

“Max” © cegesoma

Colonel de Résistance, président de l’Union nationale et du Conseil national de la Résistance, résistant de premier plan, Pierre Clerdent alias « Max » est désigné en 1943 par le gouvernement belge à Londres, comme administrateur de la Radiodiffusion nationale belge en territoire occupé. Le 4 septembre 1944, il lui revient l’honneur d’inaugurer les ondes libérées.

Présent au Congrès national wallon d’octobre 1945, P. Clerdent est sensible aux problèmes économiques de la Wallonie, participe à l’expérience politique de l’UDB et contribue à la naissance et au développement du Conseil économique luxembourgeois au moment où il est nommé gouverneur du Luxembourg (1946-1953), avant de devenir le gouverneur de la province de Liège (1953-1971). Durant plus de 25 ans, il anime le Comité européen pour l’aménagement de la Meuse et des liaisons Meuse-Rhin. Il contribue à la fondation de la SPI (Société provinciale d’Industrialisation) et prend la responsabilité d’organiser une consultation populaire auprès des habitants des six communes de Fourons (28 octobre 1962).

En 1971, Pierre Clerdent démissionne de son poste de gouverneur pour des raisons de santé. Après plusieurs mois de convalescence, il devient le président du conseil d’administration de la SA Cockerill (1971-1981) et celui de l’Union minière et industrielle (1973-1990). Alors que viennent d’être votées les lois d’août 1980, Pierre Clerdent se présente à 72 ans sur les listes du PRL au Sénat, où il est directement élu (1981-1987). Il siège également au Conseil régional wallon où son parti est l’une des composantes de la majorité (1981-1987). En décembre 1981 comme en novembre 1985, Pierre Clerdent préside l’assemblée wallonne en tant que doyen d’âge.

Sénateur coopté (1988-1991), il ne siège plus dans les assemblées fédérées. Parmi les nombreux dossiers dont il eut à s’occuper ressort sa volonté de désenclaver la Wallonie et de l’inscrire dans les grands réseaux de communication européens. Sa défense passionnée en faveur du passage et de l’arrêt du TGV à Liège en témoigne.

Paul Delforge, Institut Jules Destrée