Journal des procès n°272 (9 décembre 1994)

Le Cupidon, de Dùrer que nous publions en couverture de ce numéro tranche singulièrement avec les représentations habituelles du fils de Vénus, dieu des tendres attachements. Ce n’est pas d’une flèche qu’il blesse les cœurs mais d’un carreau, d’un trait dont la pointe n’est pas légère mais au contraire mortelle. Le style-même du dessin n’a rien d’érotique, il est plutôt terrible ! Cet enfant ailé a des allures de bête d’Apocalypse…

Nous le voyons dès lors moins comme le frère des Jeux, des Plaisirs et des Ris, ou des trois Grâces (car Vénus était prolifique) mais comme une de ces divinités proches d’Eris ou d’Adrastée, au teint livide, aux joues creuses et aux mains toujours ensanglantées.

La calomnie, monsieur ! Le mal est fait, il germe, il rampe, il chemine, et rinforzando de bouche en bouche il va le diable ; puis tout à coup, je ne sais comment, vous voyez calomnie se dresser, siffler, s’enfler, grandir à vue d’œil. Elle s’élance, étend son vo| tourbillonne, enveloppe, arrache, entraîne, éclate, et tonne ; et devient, grâce au ciel, un cri général, un crescendo public, un chorus universel de haine et de proscription. Qui diable y résisterait ?” (Beaumarchais, Figaro)

Dùrer fit plusieurs dessins sur bois pour illustrer I’Apocalypse et rien n’est plus impressionnant que la disposition de formes qu’il composait dans un espace réduit, avec une force d’expression proprement renversante. Son Cupidon, est sans doute, à cet égard, tout autre chose qu’un petit dieu farceur !

Philippe Toussaint


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